ENTRETIEN AVEC JULIE NAVARRO
COMMENT AVEZ-VOUS FAIT DE CETTE HISTOIRE LA VÔTRE ?
Julie Navarro - Il faut d’abord savoir que si cette histoire a résonné très fort en moi, c’est parce que j’ai grandi avec une mère très engagée. Elle était journaliste à RFI spécialiste de l’Afrique, a couvert les pays africains pendant une bonne partie de sa vie, et a hébergé de nombreux réfugiés migrants à la maison. À l’époque, c’étaient des Argentins, des Chiliens ou des Iraniens qui fuyaient la dictature. Ma mère s’intéressait assez peu à nos résultats scolaires mais nous mettait à contribution pour rédiger des demandes d’asile. Pour nous, ces réfugiés politiques, ces intellectuels chassés de leur pays, étaient des héros. Cette notion d’accueil fait partie de notre histoire familiale. Et il y a quelques années, lorsque s’est installé un camp de migrants en bas de chez nous, il m’est apparu naturel de me rapprocher d’associations de mon quartier et j’ai été effarée par la différence de traitement par rapport aux réfugiés de mon enfance et la manière dont ils étaient accueillis dans les années 80.
ET POURTANT VOUS N’AVEZ PAS ADOPTÉ LE POINT DE VUE DU MILITANTISME POUR ÉVOQUER LE SUJET DES RÉFUGIÉS. POURQUOI ?
Quand on s’empare d’une thématique aussi casse-gueule que celle-là, il faut un point de vue fort. Pour fuir le militantisme qui est souvent didactique ou moralisateur, j’ai choisi de faire un pas de côté et d’adopter le regard d’Arthur Berthier : ce journaliste musical est certainement curieux, ouvert sur le monde. Nous sommes tous ou presque des Arthur Berthier, choqués par la misère du monde, ayant pour certains de ma génération, arboré adolescents le badge « Touche pas à mon pote », toujours prêts à critiquer les institutions mais dont l’engagement se limite à quelques emportements rarement suivis d’effet. J’avais besoin de ce décalage qui apporte de la comédie et un humour salvateur. J’ai essayé tout au long de l’écriture puis sur le tournage de trouver le ton juste : un équilibre entre la dureté du réel et parfois la vie qui l’emporte, et le rire qui s’ensuit, sans tomber, ni dans le pathos ni dans la farce.
CE PARTI-PRIS PERMET AUSSI DE METTRE EN AVANT LA FORCE DES LIENS QUI SE CRÉENT...
Je voulais montrer que c’est Daoud, jeune Afghan dans cette fragilité de l’exil qui va recréer du lien dans la vie d’Arthur. Arthur ne va pas changer radicalement, on le sent bien, mais au contact de Daoud, il va peu à peu laisser entrer la lumière dans sa vie. J’aimais aussi le fait de remettre les gens autour d’une table. Or Amrulah, qui interprète Daoud est cuisinier, c’est lui qui m’a inspiré cette idée. Il y a d’un côté cette famille qui tente de se créer et de l’autre le collectif très fort de l’association où j’ai voulu plonger Arthur. Il y a peu d’endroits où l’on trouve un tel mélange de gens et de genres. Entre les altermondialistes, les cathos, les jeunes engagés, les retraités charitables, on trouve des gens très différents qui se réunissent autour d’un but commun : aider son prochain. Et puis l’association était aussi un terrain de comédie formidable, de fraternité, d’oppositions, de fatigues et de joies. Pour rendre crédible cette association, j’ai travaillé avec des comédiens professionnels mais aussi avec des amateurs issus de vraies associations. Et les figurants du film sont tous des vrais réfugiés.
COMMENT AVEZ-VOUS TROUVÉ L’HOMME QUI INCARNE DAOUD ?
Le chemin a été long. Pendant un an et demi, nous avons écumé toutes les associations, j’avais aussi demandé à mes équipes de casting d’investir les restaurants de Paris, d’Ile-de-France, voire même plus loin. La condition sine qua non était de trouver un réfugié avec des papiers en règle, une nécessité pour qu’il puisse tourner. A un mois et demi du tournage, j’avais fait beaucoup de belles rencontres mais je n’avais pas le sentiment d’avoir trouvé la perle. Et puis un jour, un de mes assistants m’a appelée d’un restaurant en visio car il pensait avoir trouvé notre Daoud. Amrulah Safi est un réfugié afghan, il n’est pas comédien, il est cuisinier. Je l’ai rencontré et il m’a confié son histoire. J’ai tout de suite aimé sa réserve naturelle, une certaine timidité et en même temps une détermination sans faille. Il y avait beaucoup de résonances entre son destin et celui de mon personnage mais je ne savais pas s’il serait capable d’incarner Daoud. Je lui ai raconté une scène et nous avons improvisé tous les deux. Sa justesse et sa sincérité m’ont touchée immédiatement.
QUAND BENJAMIN BIOLAY EST-IL ARRIVÉ SUR LE PROJET ?
Lorsque j’ai écrit le script, je ne pensais pas à un acteur particulier pour incarner le personnage d’Arthur Berthier. Au printemps 2020, alors que Benjamin était en promo d’un nouvel album, je suis tombée sur une interview de lui. C’était une émission de radio filmée et bien qu’elle soit enregistrée l’après-midi, Benjamin semblait tombé du lit. J’ai adoré sa nonchalance et son humour. Je l’apprécie comme chanteur mais je ne le connaissais pas tant que ça comme acteur en dehors de cette image de beau mec ténébreux. Je lui ai envoyé le script et ça a été aussi une évidence pour lui. La figure d’Arthur Berthier était bien incarnée dans le roman car Marc, qui a longtemps travaillé comme journaliste à FIP, s’était amusé à lui attribuer des tics ou des habitudes de ses confrères, que ce soit dans le discours ou dans cette façon d’évoluer avec un casque sur les oreilles. Benjamin qui connait aussi très bien les critiques rock français s’est amusé à leur piquer des trucs pour façonner son personnage.
COMMENT S’EST PASSÉE LA RENCONTRE AVEC CAMILLE COTTIN ?
Je l’avais croisée il y a très longtemps, alors qu’elle passait des castings de pub quand j’étais assistante. J’ai pensé à elle pour le rôle de Mathilde parce que j’avais envie de sa force pour incarner cet engagement mais c’est surtout ce que j’ai cru déceler d’intranquillité et de fragilité chez elle qui m’a touchée. Je savais qu’avec Camille, j’éviterai toute caricature et, à travers elle, je voulais montrer ce que j’avais ressenti sur le terrain : une certaine fatigue psychologique. L’engagement est une expérience intense mais aussi dévorante, j’ai pu observer que la prise en charge de la douleur des autres n’est pas sans impact sur les bénévoles et les travailleurs sociaux qui sont exposés aux traumatismes des exilés. L’aide, qu’elle soit apportée aux réfugiés ou aux précaires, peut être violente parce qu’on arrive souvent plein d’énergie, porté par une bonne volonté mais la réalité du terrain est éprouvante, moralement et physiquement car se mélangent la colère, l’empathie, la tristesse, le découragement. J’avais envie de parler de la souffrance des aidants. Mathilde a beau être à fond dans sa mission, elle est fatiguée parce qu’elle a l’impression que c’est sans fin.
Lorsque j’ai proposé le rôle à Camille, elle m’a beaucoup parlé de sa sœur qui a œuvré dans le milieu associatif et l’a confortée dans l’idée qu’il fallait faire ce film. Pour préparer son rôle, Camille a rencontré bien en amont les membres d’associations et des avocats spécialisés dans le droit d’asile.